Contrairement à ce que la plupart des gens pouvaient penser, un magazine web demandait autant d'investissement physique et morale qu'une version papier. Bien sur, il y avait des avantages non négligeables à bosser sur le net plutôt que sur un média classique, mais les moments de rush et de panique étaient tout aussi intenses , et cela Wood pouvait parfaitement en attester: En quelques jours, elle avait vu son lieu de travail se transformer en champ de bataille. Sans qu'elle-même ne sache réellement pourquoi, la rédaction avait pris beaucoup de retard, et maintenant que la date de bouclage approchait, tout le monde courrait dans tous les sens, essayant de régler des détails tellement infimes qu'ils auraient presque pu paraître dérisoire si ils avaient été traités à temps. Mais comme ce n'était pas le cas, chacun se retroussait les manches et une sorte d'angoisse collective semblait s'être emparée de l'open space. En clair, il régnait ans les locaux du webzine, une exécrable ambiance de fin du monde. Et même si ce n'était pas le genre de la blonde de quitter le navire en plein naufrage pleine tempête, elle devait bien avouer que cette semaine passée à rentrer tard et à manger sur le pouce, avait fini de l'achever.
A son retour en ville, elle avait fait le nécessaire pour que ses « troubles » ne redeviennent pas handicapant, mais depuis peu, elle pouvait sentir ses médicament homéopathiques faire de moins en moins d'effets.  Si les choses ne se calmaient pas d'ici peu, elle était prête à jurer qu'on la retrouverait cachée au fond d'un placard en position fœtale, à attendre que la tornade émotionnelle qui faisait rage dans les bureaux et dans sa tête ne passe.
Elle avait donc profité d'un cours moment d’accalmie, alors que tout le monde s'extasiait sur le boulot de la responsable graphique, pour s'enfuir en catimini, et enfin profiter d'une vrai pause déjeuner ! Elle n'avait pas besoin de beaucoup de temps, une demie-heure lui suffisait, pourvu que ce soit une demie-heure de paix, de silence et surtout, loin des voix crillardes et affolées de ses collègues.

Elle avait opté pour un petit bistro chic et posé du quartier des affaires, assez loin des locaux que louaient la rédaction pour que personne ne l'y croise, mais pas trop non plus pour pouvoir y retourner avant même que qui que ce soit n'ait remarqué son absence. Bien sur, si quelqu'un la questionnait sur sa disparition soudaine, elle avait d'ores-et-déjà pensé à une armée d'excuses et imparables et invérifiables, qu'elle se ferrait une joie de réciter, mais pour le moment, tout ce qui l'important, c'était le choix cornélien qui s'imposait à elle, face à cette carte dont l’intégralité lui faisait envie.
Assise à cette petite table en terrasse, à profiter des derniers rayons de soleil d'un été indien, elle sentait le stress accumulé ces derniers jours s'évanouir peu à peu. Elle était bien, au calme, et tellement à l'aise que sans même s'en rendre compte, elle commença à s'allumer une cigarette, avant que le serveur ne vienne l'avertir que lieu était non fumeur. Le gratifiant d'un sourire dont elle seule avait le secret et d'un regard qui se voulait aussi effrayant que celui d'un serial killer, elle écrasa sa blonde d'un coup sec, et senti soudainement l'ennui pointé le bout de son nez. Il y avait tellement longtemps qu'elle n'avait pas déjeuné seule (Ne jamais sous-estimé le pouvoir d'un écran d'ordinateur. Sans qu'on se rende compte, à y être scotché tous les midis sans exceptions, il finit très vite par devenir votre meilleur ami), qu'elle se sentait soudainement perdue, assise là à attendre sa commande.

Regardant autour d'elle, elle se rappela que le cabinet de Deyan se trouvait juste en face, et sans réfléchir une seconde de plus, composa le numéro de l'avocat :
« Si tu regardes par la fenêtre, tu pourras me voir juste en bas en train de te faire un  coucou ! » Dit-elle dans un petit rire tandis qu'elle fixait l'étage où se trouvait le bureau de son ami.